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Au menu : la légalité des dépôts lors de réservations au restaurant

Par Maxime Palassio-Pelletier

Le milieu de la restauration a été durement touché par la pandémie. Ensuite, l’inflation des dernières années est venue affecter de façon importante l’achalandage. Au surplus, les restaurateurs doivent composer avec le fait que certains clients réservent des tables sans jamais se présenter, phénomène en croissance communément appelé no-show. Dans un tel contexte difficile, les restaurateurs sont tentés d’adopter des mesures pour limiter les pertes et protéger leurs revenus. Par exemple, de plus en plus de restaurateurs imposent le prélèvement d’un dépôt sur la carte de crédit du client au moment de la réservation et la confiscation de celui-ci en cas de no-show. Qu’en est-il de la légalité de cette pratique ?

 

Maxime Pallasio Pelletier

Ce que dit la loi

Le premier alinéa de l’article 13 de la Loi sur la protection du consommateur[1] pose le principe général sur lequel plusieurs juristes se basent pour conclure à l’illégalité de la pratique de confiscation du dépôt fait par le consommateur dans le cadre d’une réservation au restaurant :

« Est interdite la stipulation qui impose au consommateur, dans le cas de l’inexécution de son obligation, le paiement de frais, de pénalités ou de dommages, dont le montant ou le pourcentage est fixé à l’avance dans le contrat, autre que l’intérêt couru. »

Ainsi, le restaurateur ne pourrait pas percevoir un montant d’argent prédéterminé sur la carte de crédit utilisée par le consommateur aux fins d’une réservation et le confisquer si le client ne se présente pas. Une décision récente précise par ailleurs que le commerçant ne peut « réclamer des dommages dont le montant est fixé d’avance »[2] du consommateur.

Il est important de rappeler le principe selon lequel le client a le droit de résilier le contrat de service et que ce droit peut être exercé en tout temps. Ce faisant, le client est tenu de payer au prestataire de services, soit le restaurateur, les frais encourus avant la fin du contrat[3]. Par conséquent, bien que le restaurateur ne peut pas confisquer un dépôt à titre de frais ou de dommages fixés à l’avance, il pourrait entreprendre une action pour réclamer les frais encourus. Ce serait le cas, par exemple, si le restaurateur avait acheté des ingrédients spécifiquement en prévision de la réservation convenue. Toutefois, tel que le rappelle la jurisprudence, le commerçant ne peut obtenir une indemnisation « pour le gain manqué ou le profit [qu’il] aurait pu réaliser si le contrat n’avait pas été résilié »[4]. De ce fait, comme le client qui ne se présente pas représente un gain perdu, soit un gain que le restaurateur aurait réalisé si le client s’était effectivement présenté, le restaurateur ne peut être indemnisé. Par conséquent, nous pouvons conclure que la majorité des restaurateurs qui conservent un dépôt effectué par le client au moment de la réservation agissent de façon illégale.

Le restaurateur peut toutefois réclamer des dommages-intérêts s’il prouve qu’il a subi un dommage réel[5]. Ce serait le cas, par exemple, si le restaurateur avait préparé les repas en prévision d’un événement privé tel un mariage ou un banquet et que le groupe de convives ayant effectué la réservation ne s’est jamais présenté. Or, étant donné que les  restaurants préparent dans la plupart des cas les mets lors de la commande du client sur place, le client no-show ne causerait généralement pas un dommage réel au restaurateur.

La position de l’Association Restauration Québec (ARQ)

D’après un avis juridique obtenu par l’ARQ, les restaurateurs qui incluent dans le contrat une clause stipulant que le commerçant conservera le dépôt du client en cas de non-respect de la réservation peuvent se prévaloir de cette pratique[6]. Cette opinion est surprenante compte tenu des diverses dispositions de la Loi sur la protection du consommateur et du Code civil du Québec. Comme mentionné précédemment, seule la preuve d’un dommage réel subi par le restaurateur peut donner ouverture à la réclamation de dommages-intérêts au client fautif. Somme toute, il est à noter que 69 % des Québécois seraient favorables à l’imposition d’une pénalité aux clients no-shows[7], ce qui suscite une réflexion favorable envers les restaurateurs.

Comment faire valoir ses droits ?

Deux recours s’offrent au client qui s’estime lésé par la pratique illégale d’un restaurateur : la plainte à l’Office de la protection du consommateur (OPC) ainsi que la demande en dommages-intérêts devant la division des petites créances de la Cour du Québec.

Agissant comme chien de garde de l’application de la Loi sur la protection du consommateur, l’OPC a compétence pour recevoir les plaintes du public, notamment celles concernant les restaurateurs. Le site Internet de l’OPC comprend d’ailleurs une section sur la négociation avec le commerçant[8] et une autre sur la mise en demeure[9] au besoin.

Enfin, si la négociation et la mise en demeure s’avèrent infructueuses et si la valeur du litige est égale ou inférieure à 15 000 $, le consommateur a la possibilité de s’adresser à la division des petites créances dans les trois (3) ans suivant l’origine de la problématique avec le restaurateur afin d’obtenir une compensation de ce dernier. Le consommateur devra alors déposer une demande introductive d’instance au greffe du tribunal, puis produire les pièces pertinentes au dossier. Toutefois, vu les frais d’ouverture de dossier aux petites créances ainsi que les délais judiciaires actuels, il est nettement préférable de privilégier la voie de l’entente à l’amiable avec le restaurateur.

 


[6] Nathaëlle MORISSETTE, « À quand l’imposition d’une pénalité ? », La Presse, 12 septembre 2023, en ligne : <https://www.lapresse.ca/affaires/2023-09-12/phenomene-des-no-shows/a-quand-l-imposition-d-une-penalite.php>.

[8] « Régler un problème avec un commerçant : négocier avec un commerçant », Office de la protection du consommateur, en ligne : <https://www.opc.gouv.qc.ca/consommateur/probleme-commercant/negocier-commercant/>.

[9] « Régler un problème avec un commerçant : faire une mise en demeure », Office de la protection du consommateur, en ligne : <https://www.opc.gouv.qc.ca/consommateur/probleme-commercant/mise-en-demeure/>.

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