Pour être considéré comme une « œuvre » au sens de la Loi sur le droit d’auteur, la création considérée doit satisfaire à 3 conditions :
Elle doit entrer dans une catégorie prévue par la loi;
Elle doit être originale;
Elle doit être fixée sur un support.
Si ces trois critères sont rencontrés, une œuvre est présumée être protégée par le droit d’auteur. Examinons-les.
Catégories d’œuvres protégées
La Loi sur le droit d’auteur énumère un certain nombre de créations susceptibles d’être protégées. Elle prévoit ainsi que sont protégées les œuvres :
Littéraires (livres, articles, brochures, incluant les pages web et les logiciels)
Dramatiques (théâtre, films, chorégraphies…et leurs scripts ou arrangements)
Artistiques (peinture, sculpture, architecture, photo...)
Musicales (avec ou sans paroles)
Le droit d’auteur s’applique également à certaines créations non traditionnelles, qualifiées de « droits voisins », tels que les enregistrements sonores, les signaux de communication et les prestations des artistes-interprètes, qui s’ajoutent aux droits sur les œuvres à proprement parler. Ainsi, les droits d’un chanteur (artiste-interprète) sur sa performance, s’ajoutent à ceux des auteurs des chansons.
Toutes les œuvres sont également protégées lorsqu’elles sont présentées sous forme de compilation. Par exemple, une compilation littéraire est une œuvre littéraire. Ainsi, un ouvrage collectif dont les chapitres sont rédigés par des auteurs différents sera considéré comme une « œuvre littéraire », et chaque chapitre pris séparément sera également considéré comme une « œuvre littéraire ».
Il est important de comprendre que le contenu de chacune de ces catégories a fait l’objet d’une interprétation très large par les tribunaux. À titre d’illustration, un programme télé, un formulaire d’impôt et le manuel d’installation d’un aspirateur central ont tous été considérés comme des « œuvres littéraires ! De même, une vidéo de quelques secondes sur YouTube ou TikTok pourra être considérée comme une œuvre dramatique.
Ces catégories ne sont toutefois par dépourvues de limites et certaines productions ne sont pas protégées par le droit d'auteur.
Ainsi, le « style » d’un artiste[1] et les « méthodes » (techniques d’enseignement, recettes culinaires…) ne sont pas protégeables par le droit d’auteur. Il en va de même des faits, ou encore des activités sportives qui ne se qualifient pas de « chorégraphies » puisqu’elles ne sont qu’une suite d’évènements fortuits, et qui ne sont donc pas protégées par droit d’auteur (mais leur vidéodiffusion l’est !).
Originalité
La deuxième condition est que la création doit être « originale » et ne pas être une copie (même abstraite) d’une œuvre qui existe déjà.
L’originalité n’étant pas définie dans la loi, c’est aux tribunaux canadiens qu’est revenue la tâche de préciser le contenu de cette notion.
Ainsi, dans la décisions CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada la Cour Suprême a déterminé que l’originalité se situe quelque part entre la « nouveauté » et un simple geste mécanique[2]. En d’autres termes, il n’est pas nécessaire que l'œuvre soit inédite, jamais vue ou unique ; mais elle doit attester d’un certain effort intellectuel, créatif ou inventif.
Par exemple la trame narrative de Tristan et Iseult, Roméo et Juliette et West Side Story est similaire : un amour impossible et tragique. Mais ces œuvres sont originales dans la mesure où elles racontent la même histoire de manière suffisamment différente. C’est aussi le cas des traductions d’un même texte : chacune propose une expression différente et chacune est donc protégée par le droit d’auteur.
Le seuil pour conclure à la présence d’originalité est très bas mais néanmoins existant !
Ainsi, les données de recherche brutes issues d’une simple observation ne sont pas protégées par le droit d’auteur; leur simple compilation, sans analyse, est considérée comme un geste « mécanique » et n’atteint pas le seuil d’inventivité ou de créativité requis.
Fixation
Enfin, pour être protégée, l’œuvre doit être « fixée » sur un support quelconque. Ce critère, qui n’est pourtant pas mentionné dans la loi, découle d’un principe fondamental : le droit d’auteur ne protège pas les idées. Il protège uniquement la réalisation ou l’expression des idées.
Pour qu’une idée soit exprimée et donc protégée, les tribunaux canadiens ont ainsi conclu qu’un support matériel doit l’attester[3]. Il peut s’agir d’un écrit, d’une photo, d’un enregistrement audio ou vidéo…
L’obligation de fixation à deux conséquences importantes. Premièrement, le fait de proposer une idée sans participer à sa matérialisation ne confère aucun droit d’auteur. Dans la décision New Brunswick Telephone Company par exemple, la Cour d’appel du Nouveau-Brunswick avait souligné qu’une personne « qui donne simplement des idées à une autre personne n’est pas l’auteur. […] L’auteur semblerait plutôt être la personne qui exprime les idées sous une forme neuve ou originale »[4].
Deuxièmement, le « processus créatif », dont l’existence est pourtant reconnue, n’est pas protégée par le droit d’auteur.
À noter : Contrairement à d’autres éléments de propriété intellectuelle, l’œuvre est protégée dès sa fixation. La Loi sur le droit d’auteur n’exige pas qu’elle soit enregistrée auprès de l’Office de la Propriété intellectuelle du Canada, bien que cet enregistrement puisse être utile en cas de litige.
Et le bon goût dans tout ça ?
N’en déplaise à certains, le « mérite artistique »[5], pas plus que la valeur pécuniaire ou la notoriété de l’artiste, ne sont des critères pertinents pour déterminer si une création est une œuvre protégeable par le droit d’auteur. Les tribunaux ont en effet indiqué à maintes reprises qu’il n’était pas de leur ressort de définir le « bon goût ».
La Loi sur le droit d’auteur n’exige pas non plus que l’œuvre soit « morale » ni qu’elle soit créée « légalement » pour bénéficier d’une protection[6].
Ainsi, un film pornographique ou un graffiti sont susceptibles d’être protégés par le droit d’auteur, pour autant que ces créations respectent les conditions d’originalité et de fixité prévues par la loi et la jurisprudence. Dans la décision Aldrich v One Stop Video Ltd, la Cour supérieure de la Colombie britannique avait toutefois conclu qu’aucune indemnité ne pouvait être réclamée en cas de reproduction non-autorisée d’une œuvre jugée « obscène » au sens du Code criminel[7].
[1] Bouchard c. Ikea Canada, 2021 QCCS 1376, par. 67-68 ; Rains v. Molea, 2013 ONSC 5016.
[2] CCH Canadienne Ltée c. Barreau du Haut-Canada, 2004 CSC 13, par. 16
[3] Ibid, par. 8 ; Pelchat c. Zone 3 inc., 2013 QCCS 78, par. 41-44 ; Moreau c. St. Vincent, [1950] R.C. de l’É. 198, p. 203 (C. de l’É.) ; Canadian Admiral Corporation Ltd. c. Rediffusion, Inc., [1954] R.C. de l’É. 382, 390, p. 394. Voir aussi Ysolde Gendreau, « Le critère de fixation en droit d'auteur », (1994) 159 Revue internationale du droit d’auteur 110, p. 147-151.
[4] New Brunswick Telephone Company, Limited c. John Maryon International Limited, [1982] 141 D.L.R. (3d) 193 (C.A. N.-B.), p. 244.
[5] RTI Turbo inc. c. Canada Allied Diesel Company Ltd., 2007 QCCA 1420, par. 3.
[6] Aldrich v One Stop Video Ltd, [1987] BCJ No 1035, 39 DLR (4th) 362 (BCSC), par. 28-31
[7] Ibid. Au sujet d’une affaire pendante relative à l’utilisation non-autorisée d’un graffiti, Teresa Scassa, professeure de droit à l’Université d’Ottawa, avait indiqué [traduction] « qu’il est possible qu’un juge puisse décider que le droit d’auteur de M. Veilleux a été violé, mais décider de réduire ou d’éliminer l’octroi de dommages-intérêts s’il s’avère que l’œuvre contestée a été créée illégalement ». Graeme Hamilton, « Artist sues after TV show films Montreal building that he had tagged with graffiti », National Post, 28 juillet 2018, en ligne.