Passer au contenu

/ Clinique juridique

Je donne

Rechercher

Frontières floues, litiges clairs : la problématique de l’empiétement sur la propriété d’autrui

Par Juliette Cyr

Il ne fait aucun doute que de bien s’entendre avec ses voisins est fort souhaitable, compte tenu de leur proximité physique et de la fréquence à laquelle on est appelé à interagir avec eux. La loi prévoit d’ailleurs qu’il faut être tolérant à l’égard de nos voisins, en acceptant les inconvénients normaux découlant du voisinage. Cependant, jusqu’où doit aller cette tolérance si par exemple, votre voisin faisait installer une clôture sur votre terrain, ou encore, si vous vous rendiez compte qu’une partie de son cabanon débordait dans votre cour arrière? Le présent article traitera de la problématique de l’empiétement sur la propriété d’autrui, ainsi que des recours possibles.

Qu’est-ce que l’empiétement?

En l’absence de définition dans la loi, l’empiètement peut s’expliquer comme étant une « […] usurpation partielle du fonds d’autrui en occupant une partie de son espace […] »[1]. Autrement dit, il s’agit de situations où une personne s’approprie une partie d’un terrain qui ne lui appartient pas, en l’occupant sans la permission du propriétaire. Ainsi, une condition essentielle à l’empiètement est l’absence de consentement du propriétaire à ce qu’une autre personne utilise sa propriété[2]. Un consentement doit être une permission concrète ou une approbation[3]; la tolérance d’un empiètement sur son terrain n’a donc aucune valeur.

Qualification de l’empiétement

Il faut distinguer deux situations d’empiètement :

  • L’empiétement qui est de bonne foi, mineur et qui ne cause pas de préjudice sérieux;

  • L’empiétement qui est considérable, ou qui cause un préjudice sérieux, ou qui est fait de mauvaise foi.

Pour la première situation, toutes les conditions doivent être remplies pour pouvoir la qualifier ainsi alors que pour la deuxième, il suffit de répondre à l’une des conditions.

L’empiétement de mauvaise foi doit être prouvé, car la bonne foi se présume toujours[4]. Il s’agit donc d’une question factuelle où le tribunal évaluera la situation des parties à la lumière de la preuve présentée. Par exemple, si un voisin effectuait des travaux près de la ligne séparative sans avoir effectué au préalable un examen de titres, sans avoir vérifié le registre foncier ou sans avoir averti son voisin, cela pourrait constituer de la mauvaise foi[5].

L’empiétement considérable s’évalue quant à lui en fonction de sa superficie. La jurisprudence considère qu’un empiétement est considérable s’il s’étend sur plus de 10% de la superficie totale du terrain du propriétaire[6]. Cependant, l’empiétement pourrait tout de même être qualifié de considérable même s’il était moins étendu, tout dépendant de la manière dont le terrain est affecté et de ses particularités[7].

Finalement, la notion de préjudice sérieux est elle aussi une question de circonstances. Par exemple, l’amplification d’un problème d’écoulement d’eau engendré par l’empiétement permettrait de remplir ce critère[8].

Recours disponibles

Tel qu’énoncé plus haut, la loi prévoit des recours variants selon la nature de l’empiétement.

Dans un cas d’empiétement de bonne foi, s’il est mineur et qu’il ne cause pas de préjudice sérieux, le propriétaire dispose de deux options. Il peut choisir de contraindre l’autre partie à acquérir la section de son terrain ayant subi l’empiétement, ou encore, il peut la forcer à payer une indemnité en raison de la perte temporaire de l’usage de cette partie de son terrain[9]. Le propriétaire qui choisirait la deuxième option pourrait alors consentir une servitude temporaire pour la durée de vie du bâtiment[10]. L’impact d’une servitude est que le propriétaire demeurerait légalement le propriétaire mais, dans les faits, perdrait temporairement l’usage de cette partie de son terrain.  Ainsi, si le bâtiment était détruit, le voisin empiéteur n’aurait plus le droit de reconstruire sur le terrain de son voisin[11].

En revanche, si l’empiétement causait un préjudice sérieux, qu’il était de mauvaise foi ou bien qu’il était considérable, le propriétaire affecté aurait le choix entre deux options ayant des conséquences drastiques. En effet, il pourrait contraindre son voisin à acquérir la totalité de sa propriété ou le forcer à détruire et enlever les constructions empiétant sur son terrain[12].

Il faut noter que ces solutions nécessitent des procédures judiciaires la majorité du temps. Cela entraînerait donc inévitablement des coûts ainsi que des délais importants. Par conséquent, si les circonstances s’y prêtent, il pourrait être plus souhaitable d’utiliser les modes de prévention et de règlements des différends. La médiation et la négociation permettraient alors de trouver des solutions créatives qui seraient susceptibles de satisfaire chacune des parties.

L’importance d’agir

Peu importe la démarche choisie afin de corriger la situation, il demeure crucial d’agir en temps utile afin d’éviter le déclenchement de la prescription acquisitive, c’est-à-dire, un moyen qu’aurait votre voisin d’acquérir la propriété du terrain par son utilisation prolongée dans le temps[13].

En terminant, si vous croyez subir un empiétement, il pourrait être souhaitable de consulter une avocate ou un avocat ou une ou un notaire, afin d’être informé et conseillé sur les solutions les plus adaptées à votre situation.

 

 


[1] François FRENETTE, L’empiètement mineur et les façons de le régler, p. 274.

[2] Droit immobilier québécois, l’examen des titres, par. 1.

[3] Mercier c. Mercier, J.E. 2000-1654, p. 10-11 (PDF) (C.S.).

[4] Art. 2805 C.c.Q.

[5] Pierre-Claude LAFOND, Précis de droit des biens, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2007, par. 526.

[6] Élise CHARPENTIER, Code civil du Québec : Annotations – Commentaires, 8e édition, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2023, art. 992, EYB2023CCQ1201 (La référence).

[7] I.d.

[8] Lizotte Bergeron c. Lamarre, 2011 QCCS 1569, par. 74-77.

[9] Art. 992 al.1 C.c.Q.

[10] Gosselin c. Doiron, [2002] J.Q. no 5357, par. 24.

[11] I.d.

[12] Art. 992 al.2 C.c.Q.

[13] Art. 916 et 2910 C.c.Q.

Vers le haut

ActualitésActualités