Le terme enclave signifie en latin « enfermé à clé »! En droit québécois, un lot sera qualifié d'enclavé s’il n’est pas possible d’y accéder, depuis la voie publique, autrement qu’au travers d’un autre lot. Vous vous demandez certainement comment un lot peut ainsi être enclavé. Diverses raisons peuvent expliquer une telle situation. La situation d’enclave peut résulter d’un morcellement d’un lot à la suite d’une succession ou encore, le lot bénéficiait d’un chemin de tolérance au travers du lot voisin qui est soudainement bloqué par un obstacle physique (une barrière fermée à clé ou une modification physique du lot). Cette enclave peut même résulter de catastrophes naturelles qui auraient rendu impraticable un chemin d’accès à la voie publique.
Qualification
Ainsi, il y aura enclave juridique s’il n’y a aucune issue directe sur la voie publique, si l’issue est insuffisante, difficile ou impraticable[1]. Il y aura également enclave si l’issue nécessite un aménagement trop coûteux par rapport à la valeur de la propriété. Dans ce dernier cas, on parle d’enclave économique, c’est-à-dire que bien qu’il existe un passage direct entre un lot et la voie publique, l’aménagement du chemin d’accès nécessite un investissement trop important proportionnellement à la valeur de la propriété[2]. L’importance des sommes peut être liée au défi technique de l’aménagement (par exemple une montagne à traverser ou une rivière à franchir) ou tout simplement par la longueur excessive du chemin d’accès.
À l’inverse, un lot ne sera pas considéré enclavé dès qu’il est possible de le relier directement à la voie publique, et ce, peu importe le moyen emprunté, c’est-à-dire que cela pourrait se faire par un chemin de tolérance[3] ou encore si la propriété bénéficie d’une servitude de passage. C’est l’impossibilité, physique ou économique, de relier directement le lot à la voie publique qui détermine si le lot est qualifié d’enclavé. Le simple fait qu’il est plus commode de passer au travers du lot voisin ne fera pas en sorte que le lot soit considéré comme enclavé[4].
Conséquence
Il est bien évident qu’un « fonds enclavé n’a aucune valeur en soi »[5], puisque sans ce lien direct avec la voie publique, il ne pourrait être exploité par son propriétaire. Mais rassurez-vous, le législateur a prévu une solution!
Solution
Le propriétaire d’un lot enclavé pourra exiger d’un de ses voisins un droit légal de passage[6]. La loi prévoit que ce droit d’exiger un passage naît automatiquement dès qu’il y a enclave.
Mais quel lot voisin devra subir ce droit de passage? En principe, c’est le voisin à qui le passage peut être le plus naturellement réclamé qui devra y consentir. Le passage le plus « naturel » sera déterminé par toutes les circonstances propres à chaque cas, compte tenu de l'état des lieux, de l'avantage du fonds enclavé et des inconvénients que le passage occasionne au fonds qui le subit[7].
Toutefois, il est fait exception à ce principe lorsque l’enclave résulte d’un partage, d’un testament ou d’un contrat. En effet, à titre d’exemple, si un lot a été divisé et une portion a été vendue par contrat, devenant ainsi enclavée à la suite d’une telle division, l’acheteur du lot enclavé devra obligatoirement obtenir un droit de passage de son vendeur, il ne pourra exiger qu’un autre lot voisin ne subisse ce droit de passage[8].
Et à quel endroit exactement pourra-t-on exercer le droit légal de passage? En plein milieu du lot voisin? Non, une fois le lot voisin identifié, il faut déterminer l’emplacement exact du passage, aussi appelé l’ « assiette » du passage, qui soit le plus avantageux pour le fonds dominant (lot enclavé) mais générant le moins d’inconvénients pour le fonds servant (lot qui subit le passage)[9]. En cas de désaccord entre les voisins, le tribunal devra déterminer le passage le plus « naturel ».
Et si le propriétaire du lot enclavé a pour habitude d'emprunter un chemin spécifique sur le lot voisin et que son propriétaire refuse soudainement le passage? L’habitude fera naître une présomption qu’il s’agissait du chemin le plus « naturel », c’est-à-dire le plus avantageux pour le fonds enclavé et générant le moins d’inconvénients pour le fonds servant. Si l’utilisation prévaut depuis plus de 10 ans, il y aura prescription de l’assiette (et non pas d’une « servitude ») et ainsi le propriétaire du fonds dominant pourra continuer d’utiliser l’assiette du passage habituelle, sans que le propriétaire du lot qui le subit ne puisse exiger son déplacement. En revanche, si l’habitude est de moins de 10 ans, il y aura présomption simple qu’il s’agit du passage le plus avantageux.[10] Dans ce cas, le propriétaire du fonds servant pourra repousser la présomption simple en faisant la démonstration qu’un chemin plus avantageux existe ailleurs et que l’assiette du droit légal de passage doit ainsi être déplacée.
Obligations du bénéficiaire
Le bénéficiaire du droit légal de passage devra assumer tous les coûts de construction et d’entretien nécessaires pour l’exercice de ce droit. Il devra également payer, au propriétaire du lot qui subit le passage, une indemnité proportionnelle au préjudice causé[11], si tel était le cas.
Fin du droit de passage / fin de l’enclave
Combien de temps durera ce droit de passage?
Ce droit légal durera aussi longtemps que l’état d’enclave subsistera. À l’inverse, ce droit, créé par la loi, prendra fin dès la fin de l’enclave. À titre d’exemple, la situation d’enclave pourrait prendre fin à la suite de l’aménagement d’un chemin public avec accès direct au lot jusqu’alors enclavé, ou encore si le propriétaire du lot enclavé achète le lot voisin ayant accès à la voie publique. La situation d’enclave pourrait également prendre fin si une servitude conventionnelle de passage était convenue pour l’utilisation du passage ou d’un autre passage. Toute modification juridique ou de fait faisant perdre la qualification d’enclave à la propriété mettrait fin au droit légal de passage.
Si le législateur essaie de trouver un équilibre entre le droit du propriétaire d’un lot enclavé qui risquerait de ne pouvoir exploiter son bien et le droit du propriétaire d’un lot qui devra tolérer une intrusion sur sa propriété, il n’en demeure pas moins qu’il s’agit d’une situation « temporaire ». Ainsi un tel droit légal de passage s’éteindra dès que l’enclave cessera.
Si votre lot est enclavé ou si votre lot doit subir un droit de passage et que vous voulez connaitre vos droits, n’hésitez pas à contacter un conseiller juridique.
[1] Art. 997 C.c.Q.
[2] Voir : Pedneault c. LacasseI, [2002] no AZ-50120564 (C.S.), par. 93 :
« La jurisprudence considère donc qu'un coût de construction se situant entre 10% et 15% de la valeur de l'immeuble des demandeurs est raisonnable. »
[3] Sylvio NORMAND, Introduction au droit des biens, 2e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2014, p. 130.
[4] Id., p.149; Jobin c. Ville de Vanier [1995] no AZ-95023050(C.S.).
[5] Denys-Claude LAMONTAGNE, Biens et propriété, 8e éd., Cowansville, Éditions Yvon Blais, 2018, EYB2018BEP30, par. 306 (La référence).
[6] Art. 997 C.c.Q.; Ce texte emploie « droit légal de passage » par opposition à « droit conventionnel de passage » puisque le droit de passage étudié dans ce texte origine de la loi et non d’un contrat.
[7] Article 998 C.c.Q.
[8] Art. 999 C.c.Q.
[9] Article 998 C.c.Q.
[10] D.-C. LAMONTAGNE, préc., note 5, par. 330 :
« L'utilisation publique d'un passage pendant dix ans établira une présomption absolue (relative avant dix ans) qu'il s'agit du trajet le plus avantageux pour le fonds enclavé et le moins désavantageux pour le fonds servant (998, 2917 C.c.Q.) »
[11] Art. 997 al. 2 C.c.Q.